Une inspiration débordante

Texte de Pierre Bergounioux.

 

            Le matérialisme historique et dialectique attribue un rôle moteur à la lutte des classes et la physionomie changeante que celle-ci a revêtue, d’âge en âge, au stade de développement des forces productives et aux rapports sociaux correspondants. C’est écrit noir sur blanc dans le Manifeste que Marx rédige d’une main décidée, en février 1848, du haut de ses vingt-neuf ans. « Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot, exploiteurs et exploités, oppresseurs et opprimés ont mené une guerre ininterrompue ».

            Quel rapport entre ces vues brutales, générales, révolutionnaires et les délicates recherches plastiques en regard? Eh bien, l’étroite, l’évidente dépendance de celle-ci vis à vis de l’avancée réalisée en l’espace de deux siècles dans le procès de production.

            Certains historiens font durer le néolithique jusqu’à la fin du siècle des Lumières. L’ère contemporaine débute sous les auspices des deux révolutions, industrielle, anglaise, et politique, française auxquelles il aboutit. La terre n’est plus l’unique source de richesse et l’aristocratie foncière qui en confisquait les fruits depuis la nuit des âges, périt sous le couperet de la guillotine. Le travail, libéré des entraves dont l’avait chargé l’esclavagisme antique, la féodalité, engendre des biens en quantités proprement inouïes. 

            Longtemps, l’artiste, le peintre, le sculpteur, pareils, en cela, au paysan, à l’artisan, ont accompli, à la main, du début à la fin, leur tâche, esquissé les contours, préparé leurs couleurs, extrait au burin, au ciseau, à grands coups de maillet, le dieu, l’homme ou la femme captifs du tronc de chêne, du bloc de marbre qui les gardait captifs.

            C’est fini. On reproduit mécaniquement l’œuvre d’art. Des usines automatisées produisent par milliers de tonnes tous les papiers possibles et imaginables. On s’en avise, deux fois par semaine, tôt matin, lorsque les conteneurs ad hoc, débordant de fascicules publicitaires bigarrés, d’emballages mirobolants, de revues et de journaux, de vaines paperasses sont mis sur le trottoir.

            C’est pourquoi Max Partezana commence par la fin. A quoi bon hasarder des traits de crayon, essayer des teintes. Ils sont déjà là, merveilleux, envahissants, en abondance telle que mille vies ne permettraient pas d’en tirer parti. Des artistes ont déploré, en leur temps, l’absence des Muses, le tarissement de l’inspiration. Nous sommes entrés dans l’ère de l’abondance, du gaspillage qui en est la suite inévitable. On peut s’en alarmer. Des plasticiens y trouvent assurément leur compte.

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