ARS ARTIS SIMIA .

Texte de Pierre Bergounioux 


          Ce qui distingue les artistes contemporains de leurs devanciers de Lascaux, de la Grèce antique, du Quattrocento, c'est qu'ils se sont détournés des blanches parois de calcite, du bloc de marbre et du tronc d'arbre, du banc d'argile - de la nature - pour solliciter la culture. César a écumé les casses, Y. Klein appliqué des dames pré-peintes sur ses toiles, Arman scellé sous plexiglas les reliefs de la nourriture conditionnée que débitent, désormais, les grandes surfaces.

          Peut-être fallait-il que la troisième et dernière révolution du mode technologique de communication - le numérique, Internet - ait exercé ses effets pour qu'apparaissent, quand elle s'éloigne, les potentialités inaperçues de la deuxième - celle de la presse mécanique et du papier. Nous aurons été les derniers habitants de l'ère Gutenberg . Nous avons tenu de lourds volumes imprimés entre nos mains, tracé des caractères avec des plumes d'acier, à l'encre violette dans des cahiers. Ce n'est pas tout. Les murs de nos appartements étaient tendus de papier peint figurant des bouquets, des scènes champêtres, plus tard, il est vrai, des motifs géométriques aux couleurs agressives. Et qui n'a trouvé à l'emballage mirobolant des cadeaux de Noël un charme bien plus vif qu'à leur contenu assez banal,  somme toute. 

         Le papier a eu son heure, comme l'argile des tablettes mésopotamiennes, le papyrus des Egyptiens, la peau des bêtes, le parchemin. On est en train de vider les bibliothèques. Le contenu de la Nationale - c'est Gallica - est entièrement numérisé.

         La forme a survécu à la fonction. La fonction, périmée, anéantie, a libéré la forme à laquelle elle se trouvait inféodée et l'a rendue visible. Max Partezana s'en est avisé. Il exalte la beauté sibylline des traités d'algèbre, le chatoiement du papier cadeau, les raffinements de la décoration murale. Ils nous crevaient les yeux. On voit.

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